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Lutte contre le terrorisme : Aux racines de l’incapacité de notre armée

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Depuis 2016, notre pays est en proie à des attaques meurtrières qui s’amplifient et gangrènent différentes régions du pays. L’armée, dont le rôle est de défendre l’intégrité du territoire, a du mal à contenir ces groupes terroristes qui endeuillent régulièrement la nation. Pourquoi n’y parvient-elle pas ? Nous tenterons humblement de donner quelques éléments d’explication et des pistes de réflexion en vue de contribuer au débat sur l’insécurité qui rythme désormais le quotidien des Burkinabè.

Le bilan de la crise sécuritaire que traverse le Burkina Faso fait froid dans le dos: près de 2000 morts, des centaines de blessés et plus de 1,4 millions de déplacés internes. Ce ne sont pourtant pas des actions et des initiatives qui ont manqué pour arrêter le massacre. En six ans, on aura presque tout essayé : remaniements ou réajustements ministériels, changements de ministres de la Défense (Jean-Claude Bouda, Chérif Moumina Sy, Roch Marc Christian Kaboré), limogeages de chefs d’état-major généraux des forces armées (Pingrenoma Zagré, Oumarou Sadou, Moïse Minoungou), multiples réunions du Conseil de Défense et de Sécurité, et plus récemment le rajeunissement du commandement, et nous en oublions. L’hydre terroriste continue malgré tout de faire ses ravages et de gagner du terrain.

Les révolutionnaires ont semé la graine de la destruction de l’armée

Pour comprendre les difficultés actuelles de nos forces de défense et de sécurité face à cette menace sécuritaire sans précédent, il faut remonter aux années 1980. Oui, vous avez bien lu.  Disons-le tout de suite : ce sont les révolutionnaires du 4 août 1983 qui sont à l’origine des maux de notre armée.

Pourquoi disons-nous cela ? Les faits sont têtus.

Après les indépendances de nombre de pays africains en 1960, leurs armées se sont révélées être comme des instruments pour construire nos jeunes États. Dans certains pays, elles sont restées de simples spectatrices du jeu politique ; dans d’autres, elles étaient au cœur des enjeux.

En Haute-Volta, c’est avec le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 que l’armée a été appelée par la foule à prendre le pouvoir. Depuis, elle n’a plus quitté les affaires politiques. Avec le général Sangoulé Lamizana, les choses se sont bien passées : les militaires n’ont pas fait couler le sang et n’ont pas régné par la terreur en utilisant les armes du peuple contre le peuple. C’est tout le contraire des capitaines pendant la période révolutionnaire.

En effet, le 4 août 1983, un groupe de jeunes gradés, qui avaient auparavant créé le Regroupement des officiers communistes (ROC), avec à leur tête Thomas Sankara, s’emparent du pouvoir et engagent notre pays dans une révolution afin de changer les mentalités et d’amener le peuple à compter d’abord sur ses propres forces. Les révolutionnaires entreprennent une politique volontariste en lançant de grands chantiers dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage, de l’éducation, de la santé et des infrastructures, ainsi qu’en menant une lutte sans merci contre la corruption.

Les résultats sont positifs, concrets et visibles. Le président Thomas Sankara réussit à démontrer à la face du monde qu’il est possible de se suffire, pour peu qu’on soit ingénieux et qu’on valorise ses propres ressources humaines.

Le revers, c’est que le Conseil national de la révolution (CNR) avait une sainte horreur de la contradiction, et que le système mis en place est à l’origine de la violence politique, de l’indiscipline et de l’impunité au sein des forces armées.

En effet, hormis la mort du colonel de gendarmerie Nézien Badimbié, c’est  sous le CNR que les exécutions ont commencé à émailler véritablement la vie politique au Burkina. Auparavant, les discours étaient musclés, des arrestations étaient opérées, mais les tenants du pouvoir ne salissaient pas leurs mains avec le sang de leurs adversaires. Dès la nuit du 4 août 1983, les révolutionnaires avaient identifié le colonel Yorian Gabriel Somé – surnommé « caméléon équilibriste » ou « cube Maggi » – comme un homme à abattre, surtout que c’est lui qui avait fait embastiller Thomas Sankara le 17 mai 1983. L’homme fort du Conseil du salut du peuple (CSP II) a dû sauver sa tête en fuyant la capitale pour se réfugier dans la garnison de Ouahigouya. Il est par la suite arrêté, transféré à Ouagadougou et emprisonné au Conseil de l’Entente. Le 9 août, il est exécuté avec l’un de ses lieutenants, le commandant Fidèle Guébré. Selon plusieurs sources, une bombe aurait été jetée dans leur cellule. Cela n’a donné lieu à aucune poursuite ni sanction.

Le 28 avril 1984, le régime du CNR fit passer par les armes d’autres militaires et civils accusés de complot visant à renverser le pouvoir. Il s’agissait du colonel Didier Tiendrébéogo, des lieutenants Moussa Kaboré et Maurice Ouédraogo, ainsi que des sieurs Adama Ouédraogo, Moumouni Ouédraogo, Anatole Tiendrébéogo et Barnabé Kaboré. Et ce n’est pas tout : le 15 juillet de la même année, le commandant Amadou Sawadogo, gendre de feu Gérard Kango Ouédraogo, fut tué sur le barrage n°3 de Ouagadougou.

Aux crimes de sang restés impunis, il faut ajouter l’épuration qui a consisté à rayer de l’armée des officiers, dont certains sur la base de délation et de règlements de comptes. Les Comités de défense de la révolution (CDR) ont certes énormément contribué au développement mais ils ont été  aussi à l’origine des problèmes au sein de l’armée et la division des Burkinabè en deux camps à travers des dénonciations calomnieuses : les révolutionnaires d’un côté, les réactionnaires ou ennemis du peuple de l’autre.

Entre-temps, les leaders du CNR se sont déchirés. Thomas Sankara a été exécuté le 15 octobre 1987 par des sous-officiers et des soldats dirigés et contrôlés par Hyacinthe Kafando selon de nombreux témoignages.

À partir du moment où les sous-officiers ont accompli les sales besognes, ceux-ci faisaient la pluie et le beau temps au vu et au su de tous. La réalité du pouvoir était entre leurs mains, eux qui n’avaient aucun respect pour la hiérarchie militaire et pour les officiers. Seul le chef d’état-major général, Louis Joanny Yaméogo, a eu le courage de s’assumer en rendant sa démission tout en dénonçant l’indiscipline des éléments du Centre national d’entraînement commando (Cnec) de Pô. C’est justement face à cette indiscipline et aux clivages dans les rangs de l’armée que Blaise Compaoré, pour se mettre à l’abri d’un coup d’État, a transformé le Cnec en Régiment de sécurité présidentielle (RSP), une unité puissante qui protégeait le régime et contrôlait le reste de l’armée, peu formé et mal équipé.

Le 31 octobre 2014, une insurrection populaire contraint le locataire du palais présidentiel à rendre le tablier. Blaise Compaoré prend tout de même le soin d’indiquer et de préciser l’article de la Constitution qui organise la succession en cas de vacance du pouvoir. En l’absence de gouvernement, dissout dans la foulée, c’est la rue qui commandait et les insurgés ont demandé à l’armée d’assumer ses responsabilités.

En pareille circonstance, c’est normalement le chef d’état-major général qui occupe les fonctions de chef de l’État afin de conduire la transition. Contre toute attente, un lieutenant-colonel, Yacouba Isaac Zida, numéro 2 du RSP à l’époque, a surgi de nulle part avec des sous-officiers pour prendre le pouvoir aux mains du général Nabéré Honoré Traoré, patron des armées. Si le lieutenant-colonel Zida avait fait un coup de force classique, comme plus tard le colonel Assimi Goïta au Mali ou Mamadou Dombouya en Guinée-Conakry, damant le pion à des officiers plus gradés, on aurait pu comprendre. En acceptant qu’un ancien ange-gardien de Blaise Compaoré, de surcroît issu du RSP tant décrié à tort ou à raison par certains Burkinabè, brûle ainsi la politesse à un général, nous avons tous validé et soutenu un acte d’indiscipline caractérisé au sein des forces armées. À l’époque, seul le général Oumarou Sadou (ex-chef d’état-major des armées et actuel ambassadeur du Burkina Faso en Algérie) a eu le courage de dénoncer cette situation. La plupart des officiers ont préféré se ranger du côté du nouveau maître, soit par manque de courage, soit pour profiter des privilèges de la Transition.

L’ex-régime renversé par la rue, l’occasion était belle d’entreprendre des réformes en vue de réorganiser notre armée. Il n’en a rien été. Les ambitions et les considérations égoïstes ont eu raison de l’intérêt supérieur de la nation. À l’intérieur du RSP, les changements opérés par l’ex-numéro 2 du corps, désireux d’écarter certains leaders et ne tenant pas compte des grades, ont créé des remous. Et cette tension permanente entre Zida – devenu Premier ministre – et ses frères d’armes s’est soldée par la tentative de coup d’État du 16 septembre 2015, qui a encore davantage divisé notre armée. Tous les codes qui font la force des armées ont été cassés dans notre pays.

 Le président Kaboré hérite d’une armée en lambeaux

 Ainsi donc le président Roch Marc Christian Kaboré est arrivé au pouvoir et a trouvé une armée en lambeaux qu’il a fallu reconstruire. Il avait, à notre sens, bien perçu le problème de la présence de l’armée dans le jeu politique d’où peut-être sa décision de ne pas nommer de militaires dans son gouvernement, leur rôle étant de se soumettre au politique et de défendre l’intégrité du territoire. C’est dans ce contexte que les attaques terroristes ont commencé.

Malheureusement, dès les premiers coups de boutoir, on n’a pas su prendre le taureau par les cornes. L’opinion a été embarquée dans le débat sur les présumés parrains des terroristes. Au lieu de s’attaquer au mal, on a choisi de faire de la politique en utilisant le terrorisme.

Pire, le délit de faciès aidant, des exactions ont été commises sur le terrain de la lutte contre les assaillants. De nombreuses populations se sont retrouvées entre deux feux : d’une part, les forces de défense et de sécurité (FDS) qui les pourchassent pour des soupçons de complicité avec les terroristes ; d’autre part,  les forces du mal qui les exécutent pour leur présumée collaboration avec les FDS. Que faire ? Beaucoup d’entre elles ont rejoint les groupes armés ou sont devenues leurs complices véritables en leur donnant les positions ou les mouvements des soldats burkinabè.

Le dilemme des moyens matériels

 Autre difficulté qui mine l’armée burkinabè: les moyens matériels. Quand vous discutez avec des soldats, ils avancent systématiquement le fait qu’ils n’ont pas d’armement conséquent pour combattre efficacement sur le terrain. Des officiers quant à eux vous diront, sans nier la réalité de la question de l’armement, que les hommes abandonnent armes et munitions aux mains des terroristes, si bien que les groupes armés se ravitaillent très souvent en attaquant les positions des FDS et détalent avec tout ce qu’ils peuvent emporter. L’attaque de Yirgou le 4 octobre 2021 est symptomatique : les assaillants sont repartis avec une importante quantité d’armes et de munitions.

La question de la qualité du matériel aussi se pose. Un doigt accusateur est pointé vers un fournisseur qui règnerait en maitre incontesté dans le secteur. Il se trouve que ce même fournisseur, Rafi Dermardirossian,  puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’est pas venu au Burkina Faso à la faveur de l’arrivée de Roch Marc Christian Kaboré aux affaires. Ses amis se comptaient parmi les dignitaires de l’ancien régime, qui l’ont recommandé à l’armée pour la livraison du matériel militaire. Du reste, la question de la qualité de ce dernier ne date pas d’aujourd’hui. Sous le régime de Blaise Compaoré, la presse a dénoncé à plusieurs reprises des commandes de qualité douteuse. C’est dire qu’il faut une refonte totale du système de commande de l’équipement des forces armées.

À ces problèmes, il faut ajouter le manque criant de leadership des chefs, l’indiscipline grandissante au sein des troupes et les suspicions d’enrichissement illicite de certaines autorités.

Il faut le dire, l’atmosphère au sein de notre armée est nauséabonde. Quand vous expliquez aux soldats que l’armée c’est la discipline, ils vous répondent qu’ils ne peuvent pas donner leur vie pour la patrie pendant que leurs chefs roulent carrosse et mènent grand train.

Face à une telle situation, nous devons avoir le courage de poser le bon diagnostic, de formuler des critiques constructives, de remonter dans l’histoire pour construire une vraie armée républicaine en corrigeant les graves erreurs du passé.

Le drame de ce pays, c’est le refus de la remise en cause des vérités établies. Lorsque l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo (JBO) l’a fait en écrivant son ouvrage Ma part de vérité, des gens qui n’étaient même pas nés au moment des faits étaient nombreux à contester son livre. Personne ne détient la vérité. Comme le dit la citation (vraisemblablement apocryphe) prêtée à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire. » Nous sommes aujourd’hui prisonniers de nos convictions. Or la connaissance, comme le proclame Platon, s’acquiert par la discussion afin de dépasser nos opinions particulières.

Notre pays traverse un moment décisif de son histoire. Si nous continuons dans le déni, dans la manipulation, dans le mensonge et dans l’irresponsabilité, nous nous dirigeons tout droit vers un précipice d’où nous ne sortirons que très difficilement.

Des pistes de réflexion

Face au péril terroriste, nous devons nous poser les bonnes questions. Pourquoi des Burkinabè prennent-ils des armes contre leur pays et contre d’autres Burkinabè ? Pourquoi des populations locales collaborent-elles avec ces criminels ? Pourquoi, malgré le gros budget du ministère de la Défense et les changements opérés, les groupes armés continuent-ils leurs forfaits en toute impunité ? Pourquoi les détachements sont-ils toujours attaqués de la même façon par les terroristes ? Y a-t-il des dispositifs d’intervention rapide pour appuyer des unités victimes d’attaques ou d’embuscades ? La composition des unités combattantes est-elle cohérente ? Pourquoi les soldats ont-ils le moral dans les chaussettes ? Quels sont les différents niveaux de dysfonctionnement ? À coup sûr, on aboutira au diagnostic suivant : la mal-gouvernance, la corruption, les clivages au sein des forces armées, les problèmes d’égo, l’absence de leadership etc.  Le drame d’Inata,  bien analysé, permet déjà de se faire une idée des graves dysfonctionnements qui émaillent notre armée.

Il faut éviter de parer au plus pressé en mettant en place de véritables stratégies qui vont consister à rendre effective la présence de l’Etat sur le territoire national pour éviter que les assaillants s’y installent, comme c’est déjà le cas dans plusieurs localités. Nous devons envisager l’intervention des forces des pays de la sous-région ouest-africaine car le terrorisme dépasse les frontières nationales et tend ses tentacules en Côte d’ivoire, au Bénin et au Togo. Il ne faut pas attendre d’intervenir sur le tard.

 Aux grands maux, les grands remèdes. Une refondation totale de notre armée est nécessaire. Le travail est titanesque et demande du temps. C’est le prix à payer pour former une grande armée capable de faire face aux grandes menaces. L’Algérie (même si le contexte est différent de celui du Burkina Faso et comparaison n’est pas raison), malgré ses richesses et la puissance de son armée, a vécu la terreur des attentats terroristes pendant une dizaine d’années. Il y a eu des morts, beaucoup de morts, des blessés dont certains resteront handicapés à vie, des veuves, des orphelins et d’énormes dégâts matériels. Des attentats avaient même eu lieu régulièrement à Alger, la capitale. Mais au final, l’Algérie a triomphé et possède l’une des armées les plus expérimentées et les plus puissantes du continent africain.

Il faut dès à présent que le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, pose les jalons de la refondation de notre armée afin que son successeur puisse la poursuivre ou la consolider.

Autre problème qu’il faut examiner avec le plus grand sérieux, c’est le recours aux volontaires pour la défense de la patrie (VDP), aux kologweogo et aux dozos. L’armée burkinabè ne s’est pas suffisamment assumée dans cette lutte contre le terrorisme, si bien que le politique a été obligé de faire appel à des supplétifs. Les militaires ont ainsi sous-traités la guerre à des civils sommairement formés. Aujourd’hui, les VDP par exemple font  un travail remarquable  dans certaines localités malgré les difficultés de tous ordres auxquels ils sont confrontés. Néanmoins, nous devons réfléchir sur le long terme : si demain ils libèrent certaines zones où l’armée et l’administration publique (haut-commissaire, maires et préfets) ont déserté, de quelle légitimité ces « fuyards » peuvent-ils encore disposer pour jouer leur rôle régalien ? Que fera-t-on si tous ces supplétifs deviennent des milices armées ? C’est notre manque d’anticipation qui  explique en partie nos grandes souffrances.

Soumaila Ganamé alias Ladji Yoro, symbole de la résistance contre  les terroristes au Nord et particulièrement dans la province du Lorum, (tué le 23 décembre 2021 à la  suite d’une embuscade qui a fait 41 morts  à la date de Noêl)  et ses hommes  ont  montré qu’avec  le courage et  la détermination, on peut déplacer des montagnes. C’est ce manque criant de leadership au sein de nos armées qui fragilisent aussi  la lutte contre le terrorisme.

 Dans toute lutte (politique ou syndicale) et dans toute guerre, il y a des leaders qui émergent et entraînent les autres. Comment un civil comme Ladji Yoro, sans une véritable formation de base, peut être un héros national dans un conflit alors que nous avons une armée et des militaires qui ont été formés dans de grandes écoles militaires ?  Son  secret, c’est simplement son engagement, son courage et sa détermination  à  se battre.

Nous avons besoin d’une dizaine voire une vingtaine d’officiers réputés pour leur bravoure au combat, qui se mettent devant les soldats pour traquer les terroristes et dont la seule évocation de leurs noms force le respect et fait peur à l’ennemi : la guerre contre l’hydre terroriste prendra sans doute une autre tournure.  Ces hommes valeureux existent au sein de nos forces armées : ils sont certainement victimes de la mal gouvernance, des conflits internes, du mauvais management et des problèmes d’égo.

Adama Ouédraogo dit Damiss

Journaliste et écrivain

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