Dans un contexte sécuritaire difficile marqué par des attaques et exactions de tous genres, le pardon et la réconciliation nationale peuvent contribuer énormément à retrouver la stabilité. C’est, du reste, la conviction du coordonnateur national de la Coordination nationale pour une transition réussie (CNTR), par ailleurs député à l’Assemblée législative de la Transition, Pascal Zaïda. Depuis plusieurs années, et aujourd’hui plus encore, il ne cesse de le clamer à chaque fois que l’occasion se présente. Dans une interview qu’il nous a accordée le vendredi 22 juillet 2022, l’homme est revenu sur plusieurs sujets d’actualités. Lisez !
BN : Le Burkina Faso traverse l’une des pires périodes de son histoire. Le nouveau pouvoir a suscité beaucoup d’espoir mais aujourd’hui, beaucoup restent sceptiques quant à sa capacité à changer la donne. Croyez-vous que ce régime peut changer la tendance ?
PZ : Depuis la nuit des temps, le Burkina Faso a toujours connu des effets de crise. Cette crise, nous l’avons vu venir, nous avons prévenu mais malheureusement nous n’avons pas été compris. Je peux d’ores et déjà dire qu’avec ce que nous vivons, voyons et entendons sur le terrain, nos jeunes camarades militaires trouveront la solution au problème sécuritaire.
BN : Qu’est-ce qui vous rend autant optimiste quand nous assistons toujours à des attaques d’envergure et à un déplacement massif des populations vers les villes ?
PZ : Tout ce qui relève de la grande muette est un peu secret. Je pense qu’il y a une évolution positive sur le terrain du combat. Les résultats sont probants et ils parlent d’eux-mêmes. Concernant la question du terrorisme, c’est un fléau qui est un peu maîtrisé au Burkina Faso. Aujourd’hui, on assiste à des actions de groupuscules, de bandits de grand chemin et des trafiquants. Au bout de six mois, le Burkina Faso pourra recouvrer les 75% de son territoire.
BN : Dans sa démarche de recherche de solution à ce fléau, le président Damiba a récemment convoqué une réunion à laquelle l’ancien chef de l’Etat, Blaise Compaoré, a pris part. Certains ont crié au scandale soutenant que ce dernier devait être remis à la Justice. Partagez-vous cet avis ?
PZ : Moi-même j’ai trouvé que la venue de Blaise Compaoré au Burkina Faso était prématurée. Mais il faut dire que nous avons besoin aujourd’hui de la paix dans ce pays. Il faut que nous arrivions à prendre l’exemple sur la Côte d’Ivoire ; il faut que nous fassions la paix des braves. Nous nous attendions à voir les présidents Compaoré et Kaboré ensemble. Malheureusement, le président Kaboré a décliné cette offre. Ce qui veut dire que le président Kaboré a désobéi à son serment avec certains chefs d’Etat de la CEDEAO. Quoiqu’on dise, ce sont certains chefs d’Etat de la CEDEAO qui avaient souhaité que le président Kaboré prenne part à cette rencontre mais il a décliné l’offre. La paix des braves aujourd’hui est importante. Vous verrez à la fête de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, les présidents Bédié, Ouattara et Gbagbo ensemble à Yamoussoukro. Nous avons besoin de ce modèle au Burkina Faso.
BN : Vous parlez de l’exemple de la Côte d’Ivoire mais dans le cas du Burkina Faso, ne pensez-vous pas que Blaise Compaoré doit être remis d’abord à la Justice ?
PZ : Rien n’est tard ! C’est vrai que l’arrivée du président Compaoré a été un peu précipitée. De toute façon, il avait été jugé et condamné dans le cadre du dossier Thomas Sankara. Or au Burkina Faso, on veut la vérité, la justice et la réconciliation. Il y a eu la vérité et la justice. Il faut que les gens soient indulgents et tolérants afin qu’on aille à la réconciliation. Pour ma part, le président Kaboré peut encore se ressaisir. En 2014, il avait fait son mea culpa. Aujourd’hui, le président Kaboré peut aussi demander pardon au peuple burkinabè pour avoir refusé de participer à une rencontre de haut niveau dans le cadre de la restauration et de la stabilité du pays. Il a pris un pays uni et sept ans après, il a remis un pays déchiré.
BN : Vous insistez sur le fait que le retour de Blaise Compaoré était prématuré. Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire en amont, selon vous ?
PZ : Nous avons été l’un des premiers à parler de réconciliation au Burkina Faso. Après, il y a eu Ablassé Ouédraogo avec la CODER, Harouna Dicko…Tout se prépare. Il aurait fallu demander aux vrais acteurs quelles étaient leurs motivations premières à déclencher cette dynamique de réconciliation. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette dynamique, qu’est-ce qu’on fait ? Il y a eu vice de procédure. Dans tous les cas, nous donnons l’alerte. Au Burkina Faso parfois, les gens évitent de connaître la valeur d’un homme. Une fois à l’Assemblée (Assemblée législative de la Transition, ndlr), j’en ai parlé également à Yéro Boly. S’il m’avait demandé ce qu’on devait faire pour que Blaise Compaoré vienne, j’aurais dû lui apporter la réponse pour dire : ‘’A cette étape où nous sommes, c’est prématuré’’. Par contre, il faut préparer les esprits. Nous attendons le retour définitif de Blaise Compaoré en fin décembre. Lorsque le président Damiba va s’adresser à la Nation, il va prendre une mesure conservatoire que lui confère la Constitution pour faire ce qu’on appelle une grâce présidentielle. C’est quelque chose qui peut passer par l’ALT, mais de par ses attributions, vu que ce sont des personnes qui avaient été jugées et condamnées, il peut demander à tous les anciens chefs de l’Etat de rentrer au pays. Il y a eu vice de procédure mais nous n’en voulons à personne. Nous leur demandons d’avoir dorénavant de la considération pour ceux qui ont été les premiers acteurs à demander la réconciliation.
BN : Etait-ce donc dans cette optique que lors de la dernière assemblée générale de la CNTR, vous avez demandé au gouvernement et à l’ALT d’user du droit de grâce dévolu au président du Faso pour consacrer le pardon du peuple aux condamnés pour crimes politiques ?
PZ : Le Burkina Faso vit une guerre. Personne n’a la solution à ce problème. Nous avons de côté de jeunes militaires formés et spécialisés dans ce type de combat. Si tout de suite, le président Damiba décide de libérer les prisonniers politiques, notamment de la MACA, on peut affecter le capitaine Dao à Djibo, le capitaine Zoumbri dans une autre zone et on met des hommes sur le terrain…Je ne peux pas parier mais je pense qu’ils pourront contribuer à ce que nous retrouvions la paix. Notre souci commun, c’est comment faire pour retrouver la paix et faire en sorte que les Burkinabè se parlent. Je pense qu’on est déjà dans cette logique. Au-delà des débats politiques, c’est l’intérêt supérieur de la Nation qui prime.
BN : Pour parvenir à cette réconciliation, n’est-il pas indiqué que les condamnés puissent purger leur peine ?
PZ : Il y a eu la justice et la vérité. Le reste, c’est le pardon. Personne ne peut nous dire aujourd’hui que, du moment où il y a eu la vérité et la justice sur le dossier Sankara, Blaise Compaoré et le général Diendéré qui ont été condamnés à vie doivent rester en prison durant toute leur vie. Nous ne sommes pas un peuple tolérant, un peuple de pardon. Lorsqu’on veut la paix dans un pays, il faut accepter de faire des concessions. Est-ce qu’aujourd’hui, on peut aller réveiller Sankara dans sa tombe quand bien même qu’on sait que les os même de Sankara ne sont plus au Burkina Faso. Si Sankara pouvait se lever, il allait dire : ‘’Je pardonne à ceux qui m’ont fait ça’’. C’est normal que certains en ont fait un fonds de commerce. Malheureusement, ce fonds de commerce a une limite. A partir du moment où il y a eu le verdict, c’est fini. On ne peut continuer à s’enrichir sur la mort de Thomas Sankara. Sankara aussi a fait des victimes. Il n’y a pas un régime qui a tué plus que celui de Sankara. Mais personne n’en parle. Pourtant les victimes ont des enfants et des arrière-enfants qui savent que c’est sous le régime de Sankara qu’il y a eu ceci ou cela. Nous avons intérêt à nous accorder sur un minima : la paix et la stabilité. On est en train de tourner sur le dossier mais l’insurrection sera jugée tôt ou tard. Quand on va faire sortir le dossier de l’insurrection, qu’est-ce que les gens vont dire ? Les gens veulent savoir ce qui s’est réellement passé les 30 et 31 octobre 2014.
BN : Pour revenir sur le plan sécuritaire, concevez-vous que dans un petit pays comme le Burkina Faso, l’on puisse parler de l’existence d’une piste d’atterrissage clandestine sans que les autorités ne soient au courant ?
PZ : J’ai lu cela à travers les réseaux sociaux, j’avoue que je n’ai pas très bien perçu le message. Mais je peux vous dire que pour les questions qui relèvent de la grande muette, il faut être prudent. Une piste d’atterrissage ? C’est un jet privé ? Un hélicoptère ? Où se trouve cette piste ? C’est dans quelle forêt ? Il ne faut pas rentrer dans ce débat.
BN : Autre chose, comment analysez-vous les récents propos polémiques de l’ambassadeur de France au Burkina Faso, Luc Hallade ?
PZ : Il faut reconnaître qu’il y a une part de vérité dans ce qu’il a dit. Ce qui a fait tomber le président Kaboré, c’est que ce sont les réseaux sociaux qui dirigeaient entre temps le Burkina Faso. Dès que les internautes disaient ceci ou cela, il prenait une décision y relative. Comme je l’ai dit, les gens pensent qu’ils vont pouvoir pousser les militaires à bout mais cela ne marchera pas. Il faut reconnaître qu’il y a une part de vérité dans ce que l’ambassadeur de France a dit. N’importe quel quidam se lève, met 1000 F de mégas et il commence à raconter des histoires.
BN : Tout de même l’ambassadeur y est allé un peu fort avec l’emploi de mots tels que ‘’idiots utiles’’…
PZ : L’ambassadeur de France s’adresse aux internautes, pas aux Burkinabè. Il y a des personnes qui ne vous connaissent pas mais qui vous agressent à travers les réseaux sociaux. Et lorsque vous les rencontrez, elles demandent pardon. Je suis entièrement d’accord avec ce que l’ambassadeur a dit. On ne peut pas gérer le pays à travers les réseaux sociaux. Des gens se cachent derrière internet et insultent à longueur de journée. C’est vrai qu’il y a ce sentiment anti-français mais cela n’a rien à voir.
BN : Pascal Zaïda porte plusieurs casquettes comme celle de la Ligue des consommateurs du Burkina. A ce niveau, on ne t’entend pas trop sur les questions de vie chère…
PZ : Les gens se trompent. Ils ne suivent pas l’actualité. Dans le cas de la vie chère, personne n’a parlé ou proposé plus que moi. J’en ai les preuves. C’est une conjecture mondiale. Il y a la guerre entre l’Ukraine et la Russie, la COVID et le terrorisme. Voilà les trois indicateurs qui font que la vie chère. Dans cinq ou six mois, les prix des produits vont encore subir une augmentation. Au regard de la situation que nous vivons là, qu’est-ce qu’il faut faire ? Voilà ce que nous avons dit : les brasseries utilisent 75% de la production de maïs. Je rappelle que la bière n’est pas une priorité. Les fermes utilisent également du maïs. Nous sommes au mois de juillet, il faut prendre des mesures conservatoires. Il faut déjà prévenir les grandes firmes comme la Brakina que dorénavant, elles doivent importer le houblon pour fabriquer la bière. Deuxièmement, il y a la question des taxes sur les importations. La mesure SYLVIE est une mesure qui n’engage que la Chambre de commerce. On a dû supprimer ces taxes pour permettre aux gens de faire entrer des produits de grande consommation. Il y a enfin la question de la subvention : demander à l’Etat de subventionner les produits de grande consommation. J’en ai parlé à tous les niveaux. C’est un combat que je mène.
BN : Pour la fin…
PZ : Je souhaite la paix et la stabilité dans notre pays. Aujourd’hui, les militaires sont en train d’abattre un travail formidable. Ils ont besoin de l’appui et des encouragements de tous les Burkinabè.
Interview réalisée par Shady COULIBALY (www.burkinanews.info)